Le Monde
Décryptages, vendredi, 17 novembre 2006, p. 19

DECRYPTAGES PORTRAIT

Apollinaire Malumalu, missionnaire de l'impossible
Il a supervisé le premier scrutin démocratique au Congo-Kinshasa. Prêtre, il affirme vouloir rester en dehors des luttes politiques, alors qu'il est accusé de faire le jeu du pouvoir

Philippe Bernard

Il fallait être suicidaire ou mégalomane pour accepter cette tâche et l'accomplir. Pourtant, Apollinaire Muholongu Malumalu, 45 ans, ne semble pas candidat au martyre. Quant à son appétit pour le pouvoir, l'avenir en jugera. Prêtre de son état, il préside depuis 2003 la commission électorale indépendante qui a supervisé les élections en République démocratique du Congo (RDC). Déjà, il a réussi l'improbable : faire voter 26 millions de citoyens en majorité illettrés dans 50 000 bureaux de vote, dans un pays grand comme l'Europe de l'Ouest, miné par la violence et la corruption.

Ces jours-ci, alors qu'il s'apprêtait à proclamer la très probable victoire du chef de l'Etat sortant, Joseph Kabila, au deuxième tour de la présidentielle, il était accusé de « falsification » par l'archevêque de Kinshasa en personne : il aurait favorisé l'élection de M. Kabila, originaire comme lui de l'est du pays, au détriment de son challenger, Jean-Pierre Bemba. Mais l'« abbé » en a vu d'autres.

Il avait fallu que les armes parlent, le 20 août à Kinshasa, pour que les Congolais conviennent qu'Apollinaire Malumalu, souvent considéré jusque-là comme une potiche du président Kabila, pouvait être l'homme de la situation. Ce jour-là, le président de la commission électorale devait proclamer le résultat du premier tour de la présidentielle. Alors que Joseph Kabila était convaincu qu'il allait écraser ses adversaires dès le premier tour, l'abbé Malumalu s'apprêtait à annoncer qu'un second vote serait nécessaire. Une très mauvaise nouvelle pour le pouvoir. Certains cercles tentèrent d'empêcher la proclamation des résultats. C'est sous une pluie de balles, dans un blindé de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), qu'Apollinaire Malumalu put finalement se rendre jusqu'à un studio de la télévision nationale pour annoncer la mise en ballottage de M. Kabila et le score inespéré de Jean-Pierre Bemba.

« Nous avons vécu des moments pénibles pendant la guerre. Plus rien ne peut nous effrayer », commente aujourd'hui l'abbé. En 1997, accusé par des rebelles pro-ougandais d'avoir introduit des armes au nord-Kivu - en réalité des conteneurs de livres selon son entourage -, il avait fait l'objet d'un simulacre d'exécution.

Aujourd'hui, on ne le rencontre qu'après d'interminables démarches, au Grand Hôtel de Kinshasa, où il s'est replié sous la protection de gardes du corps omniprésents. De petite taille, la tête rentrée dans les épaules, il a des allures juvéniles et le sourire sempiternellement ecclésiastique. La voix mêle douceur et fermeté, le français est châtié.

« Il sait parfaitement plaire aux Blancs », persifle une observatrice très informée, qui voit en lui « un embrouilleur dévoré d'ambition », un petit curé de brousse monté en graine, devenu « un personnage incontournable du pays ». « Voir en lui un futur Monsignor est un total contresens, rétorque Jean-François Ploquin, un proche, responsable d'une ONG lyonnaise. Il a mis ses qualités intellectuelles au service de la construction démocratique. Après les élections, il retournera à ses chères études. »

Fils d'un couple d'enseignants, issu de la minorité de Congolais « évolués » tolérés sous la colonisation, Apollinaire Malumalu a connu la trajectoire de l'enfant doué remarqué par les bons Pères. Après le grand séminaire et une licence en philosophie, il poursuit ses études à l'Université catholique de Lyon, où il soutient, en 1991, une maîtrise sur « L'universalité des droits de l'homme » et une autre sur « La responsabilité politique dans l'oeuvre d'Albert Camus ». Mais le curé étudiant ne s'enferme pas dans les bibliothèques et les églises. Il bat la campagne et suscite en Rhône-Alpes la création de plusieurs associations de solidarité avec le Congo, toujours actives.

L'abbé exportera cette expérience dans son pays, en créant de multiples ONG de développement rural et de défense des droits de l'homme dans le sillage de l'Université catholique de Butembo (nord-est de la RDC), dont il devient le recteur en 2001. Autant de lieux de pouvoir dans un pays où l'Eglise semble la dernière institution à tenir debout.

Populaire, influent, formé au droit et à la science politique, il est désigné en 2002 pour représenter la « société civile » de sa province aux négociations de paix sur le Congo en Afrique du Sud. Sur sa lancée, il est nommé l'année suivante, président de la commission électorale, « un poste où il n'y a que des coups à prendre et dont personne ne voulait », se rappelle un observateur européen. « La population aspire aux élections depuis plus de quarante ans, mais les dirigeants l'en ont toujours privée, explique l'abbé. Il fallait sortir de l'arbitraire en bâtissant une institution indépendante, la CEI. »

Cette fois, après dix années de guerre et 3,3 millions de morts, le pays, exsangue, négocie son tournant démocratique sous la houlette des Nations unies. La communauté internationale, qui a investi 397 millions d'euros dans le processus électoral, suit l'abbé de près. « Il a réussi un sacré pari : rester d'acier sur la ligne de la non-violence, une gageure dans un contexte aussi accablant, salue Marie-Hélène Aubert, députée européenne (Verts) observatrice de l'élection. Quand on voit la population s'approprier le processus électoral, on se dit qu'il n'a pas travaillé pour rien. »

Des élections imposées par les Blancs ? L'abbé se cabre : « La démocratie est une culture commune à tous les peuples. Les Africains doivent faire un effort d'adaptation. Nous sommes forts pour la palabre, il faut apprendre à décider. »

De son propre avenir, le président de la commission électorale va devoir décider incessamment, une fois tournée la page des élections. L'exacerbation des passions, à l'approche du verdict de la CEI, a relancé les critiques à son égard : ce swahilophone autoritaire et solitaire aurait favorisé les gens de l'Est et le clientélisme ethnique au sein de la commission électorale; il aurait fermé les yeux sur les anomalies du scrutin et nourrirait des ambitions politiques.

Apollinaire Malumalu coupe court : « En tant que prêtre, je n'ai pas d'autre issue que de revenir à ce que je faisais avant, enseigner les sciences politiques et accompagner 5 000 paysans dans le domaine de l'hydraulique rural. » Et d'affirmer, avec une modestie calculée : « Les hommes passent, les institutions restent... » C'est précisément le message que, fort de son statut d'ecclésiastique, l'abbé est chargé de transmettre au perdant de la présidentielle. En sachant qu'aucun des candidats, tous deux anciens chefs de guerre, ne paraît prêt à accepter la défaite.

Note(s) :

PARCOURS
1961 Naissance à Muhangi (République démocratique du Congo).
1986 Ordonné prêtre de Beni-Butembo (nord-est du pays).
1993-1996 Curé de la paroisse de Monestier-de-Clermont (Isère).
1998 Docteur en sciences politiques à l'université Grenoble-II.
2001 Recteur de l'Université catholique du Graben (RDC).
2003 Président de la Commission chargée d'organiser les élections au Congo.

Illustration(s) :

Apollinaire Malumalu. PHOTO : Bénédicte Kurzen/WPN pour « Le Monde ».

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Numéro de document : news·20061117·LM·0Q1711_1393363


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